Une planète en crise : l’impasse des sommets climatiques

Rodrigo Lledó est le directeur pour les Amériques de Stop Ecocide International. Juriste, il est titulaire d’un master en droit public et en droit constitutionnel ainsi que d’un doctorat en droit.


Depuis la Conférence de Stockholm en 1972 jusqu’à la récente COP 16 sur la biodiversité, clôturée le 28 février dernier, les grandes réunions internationales ressemblent de plus en plus à des rituels que de véritables solutions à la crise écologique.

Chaque année, dirigeants politiques, diplomates, scientifiques, activistes et représentants d’ONG se retrouvent dans de nouveaux sommets censés freiner le réchauffement climatique, l’érosion de la biodiversité et la destruction irréversible des écosystèmes. Vingt ans après Stockholm, le Sommet de la Terre de Rio en 1992 a marqué un tournant avec l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, consolidée ensuite par le Protocole de Kyoto (1997) et l’Accord de Paris (2015). Depuis, les négociations ont été marquées par autant de progrès que de blocages.

La deuxième phase de la COP 16, lancée initialement à Cali (Colombie) en octobre 2024, s’était conclue sans accord, nécessitant une reprise à Rome. Cette fois, un consensus a finalement été trouvé le 28 février, bien que tardif et partiel. Le nœud du désaccord : le financement. Malgré cela, un premier plan mondial pour le financement de la conservation de la nature a été adopté — une avancée significative, même si elle arrive avec plus de cinquante ans de retard.

La planète, elle, n’attend pas

Malheureusement, la crise environnementale ne suspend pas sa progression en attendant des décisions internationales. Tandis que les délégués débattent dans des salles climatisées, les températures mondiales continuent d’augmenter et les écosystèmes de s’effondrer, entraînant des pertes humaines bien réelles.

Le 10 janvier 2025, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a confirmé que 2024 avait été l’année la plus chaude jamais enregistrée, dépassant les niveaux préindustriels d’environ 1,55°C. Autrement dit, moins de dix ans après l’Accord de Paris, l’un de ses engagements-clés — limiter le réchauffement à 1,5°C — a déjà été rompu. D’après l’OMM, les neuf dernières années ont toutes été les plus chaudes jamais mesurées. Le record de 2024 n’est donc pas une anomalie, mais la confirmation d’une tendance

Incendies en Californie, en Amazonie et dans le sud de l’Argentine, inondations à Valence, sécheresses en Afrique : ces catastrophes ne sont que les derniers exemples de ce que les scientifiques annoncent depuis des décennies. Une crise climatique en marche, implacable. Sommet après sommet, l’humanité semble faire du surplace, comme prise dans une boucle, pour revenir au point de départ.

Les autres sommets

Cette impasse m’évoque irrésistiblement le roman Les Hauts de Hurlevent. d’Emily Brontë, où les passions humaines les plus sombres — haine, amour destructeur, jalousie, mensonge, vengeance — entraînent les personnages vers un destin tragique. De la même manière, aux sommets climatiques, ce sont nos penchants les plus nuisibles — égoïsme, ambition sans limite, myopie politique, manque d’empathie et greenwashing — qui freinent toute avancée véritable. Comme dans le roman, une seule issue paraît possible : la réconciliation. Avec nous-mêmes, avec les autres, avec la nature qui nous entoure et dont nous faisons partie intégrante. Sans elle, nous ne survivrons pas. Sans nous, elle le pourra. Il est temps de cesser de considérer la nature comme une ressource inépuisable, et de faire la paix avec elle — comme l’appelait justement le thème du sommet de Cali.

Je le sais : les personnes présentes à ces sommets y vont avec les meilleures intentions. J’y ai rencontré des individus remarquables, avec qui j’ai eu des échanges inoubliables. Mais la vérité crue est ailleurs : les décisions cruciales ne sont pas prises dans ces forums, mais dans des espaces plus opaques et moins accessibles comme le Forum économique mondial de Davos, les réunions du G20 ou du G7, où priment les intérêts privés des grandes entreprises et des États les plus puissants. Pendant ce temps, les engagements globaux pris au nom de l’humanité restent vagues, fragmentés et insuffisants. Croire en leur mise en œuvre relève presque de l’utopie.

Reconnaître l’écocide comme crime international

Un changement de paradigme est aujourd’hui indispensable. Les engagements internationaux doivent être traduits en actions concrètes, avec des mécanismes de responsabilisation solides. Une proposition prometteuse va en ce sens : celle portée par Stop Ecocide International, qui vise à faire reconnaître l’écocide — ces destructions environnementales à grande échelle, pourtant évitables — comme le cinquième crime relevant de la Cour pénale internationale (CPI). 

Ce serait une avancée majeure, non seulement pour poursuivre les responsables de ces désastres, mais surtout pour les prévenir. Pour y parvenir, il faut que les décideurs politiques s’engagent, que les entreprises comprennent l’urgence écologique, et que les citoyens continuent d’exiger un véritable changement.

En septembre 2024, le Vanuatu, les Fidji et les Samoa ont officiellement déposé une demande pour inclure l’écocide dans la juridiction de la CPI. En octobre, la République démocratique du Congo a exprimé un fort soutienà cette initiative lors du sommet de Cali.

La prochaine COP 30, qui se tiendra à Belém do Pará (Brésil), représente une opportunité unique de changer de cap. Trente-trois ans après le Sommet de Rio, elle sera à la fois un retour symbolique aux origines d’un espoir durable et un test pour démontrer que l’humanité peut apprendre de ses erreurs. Nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau Hauts de Hurlevent, fait de querelles stériles et d’inaction.

Dans le roman de Brontë, la réconciliation arrive trop tard. Mais il n’est pas encore trop tard pour se réconcilier avec notre maison commune. Cela dépend de nous. Notre planète, aussi merveilleuse qu’unique, a besoin d’un droit international qui la protège vraiment : une loi sur l’écocide, qui incarnerait enfin un engagement collectif sincère envers l’avenir de l’humanité.


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Pourquoi une loi sur l’écocide est essentielle : Encadrer le secteur privé pour protéger notre avenir